Les séries B et Z en cinéma qualifient les films à petits budgets, généralement américains, fabriqués avec trois francs six sous, considérés comme de piètre qualité scénaristique, avec des comédiens médiocres, une intrigue faiblarde... ces films avaient cependant l'immense mérite de ne pas trop se prendre au sérieux et de donner à voir des scènes assez crues, quasi inexistantes dans les grosses productions aseptisées des studios hollywoodiens d'alors (à partir des années 50). Mélange de genres (cowboys contre ninjas, genre), invraisemblances en cascade qui participaient du délire général du film, promus par des fabricants de pop-corn peu regardants sur les réelles qualités cinématographiques des oeuvres, ils étaient extrêmement populaires et rentables.
Avec le temps, un véritable culte de certains films de série B s'est développé, et leurs thématiques préférées (western, films de zombies, horreur, films de sf avec des extra-terrestres en mauvais plastic, pastiches référentiels à l'âge d'or de la culture américaine, road movie dans l'Amérique profonde des culs terreux...), outre qu'elles constituent l'alimentation de base de Quentin Tarantino depuis bientôt 20 ans, servent désormais de leitmotiv à des albums de BD assumant avec gourmandise leur ascendance. Tout le monde a vu ou a entendu parler des films de la Hammer par exemple, qui recyclaient ses costumes et ses décors et multipliaient les aventures de vampires, de monstres du lac, d'invasions extra-terrestres, avec le plus souvent des allégories de la Guerre Froide et de la peur du Communisme. Ou les films formidables, nanars suprêmes, produits par le Pape de la série B, Roger Corman, qui a notamment mis le pied à l'étrier à James Cameron. Pour l'anecdote, les westerns spaghetti étaient également des séries B en leur temps, avec ses tournages espagnoles, ses comédiens italiens...
Ainsi de plusieurs albums sortis récemment chez Ankama. L'éditeur roubaisien encourage avec enthousiasme des titres qui puisent directement dans la culture de la série B et de la série Z, et il faut reconnaître que les références sont non seulement assumées mais bien digérées. L'album Rock a Billy Zombie Superstar pour commencer croise les histoires de Zombies, qui renaissent régulièrement en librairies ou au cinéman, dépoussiérés, mais avec toujours autant d'hémoglobine, et les conventions si kitsch des rockers fans d'Elvis Presley, personnages hors du temps, animateurs de fêtes votives au fin fond des plaines de l'Ohio. L'histoire est très simple : un imitateur du King, banane et concentré de ringardise derrière ses lunettes de soleil, se fait mordre par un zombie (les zombies vivent en liberté et sont banalisés) et devient l'un d'entre eux tout doucement, perdant ce qui fait sa nature profonde, son humanité. Ca rock, ça saigne, ça explose du cadavre, ça cul-terreuse à tout va, ça zombise en cascade... On sent le coté jouissif des auteurs à jouer avec les codes du genre. Ils mélangent avec allégresse les militaires bornés, échappés des films de monstres, les paysans poilus et tatoués, les longues chevy rutilantes et peinturlurées, le tout dans les petites villes de l'Amérique profonde, sans guère d'autres horizons que la consanguinité et les parties de jambes en l'air dans les bosquets environnants, puant la sueur, la pisse sur un tapis de vieilles canettes de Budweiser rouillées. Vous voilà prévenus !
C'est du coté du Jean-Claude Bourret auteur à succès dans les années 80 d'ouvrages de vulgarisation sur les OVNIS, thématique ô combien usée et sur-usée, que va puiser l'album OVNI, l'affaire Varginha qui sort ces jours. Là, l'argument est de raconter de manière très sérieuse une affaire d'OVNI survenue en 1996 au Brésil (si, si). La préface est signée par Fabrice Bonvin, un ufologue réputé et manifestement très sérieux, qui apporte sa caution à la reconstitution de l'atterrissage d'un OVNI, suivi par la libération d'un extra-terrestre apeuré et la contamination de personnages atteints d'hallucinations qui renvoient aux symboliques des sectes millénaristes. L'entreprise pourrait prêter à rire pour les esprits sceptiques, dont je suis parfois, mais la qualité narrative de l'album, tout à son propos, le rend si ce n'est crédible, au moins intriguant et rappelle toute cette famille de séries hallucinées des années 70, où il était de bon ton entre la traite des moutons et la culture du chanvre de disserter sur la manière de confectionner des petits gilets en laine naturel aux possibles visiteurs de l'espace. Pour couronner le tout, un appendice assez instructif complète l'album, qui puise beaucoup du coté des tenants de la théorie perpétuelle du complot, l'Etat qui cache toujours les faits au peuple pour sa propre sécurité, antienne connue...
Outre ces deux exemples parlants, Ankama a sorti en début d'année Diary of inhuman species, où Stan, auteur également bien barré connu pour sa série Vortex, passe en revue le bestiaire de monstres de l'espace rencontrés lors de son enlèvement (à nouveau exploitation des légendes urbaines américaines). C'est avant tout l'occasion d'admirer son imagination et son goût pour les monstres bien fichus. A venir enfin pour janvier 2010 la réédition des exploits de la cultissime Tank Girl, punkette déjantée créée à la fin des années 80, qui a donné lieu à un film d'une nullité affligeante, nanar ultime même pas série Z en cela que là les moyens ont été mis, ce qui n'a pas empêché le naufrage. Jamie Hewlett, son dessinateur, est aujourd'hui révéré aussi pour être le designer des personnages autour du groupe Gorillaz. Le kitsch a laissé la place à la branchouille ultime. Les auteurs s'emparent des ratages d'antan pour en faire les succès d'aujourd'hui. La boucle est bouclée ?
Sébastien NAECO
(illustrations : couvertures de Rock a Billy Zombie Superstar, par Nikopek et Lou et d'OVNI l'affaire Varginha, par Philippe Auger, éditions Ankama)
Je vous invite à télécharger et à écouter le troisième podcast sur le Voyage dans le Temps auquel je participe, disponible depuis mercredi 4 novembre sur le Monde des séries, le blog de Pierre Sérisier. Je n'ai pas pu y aborder ni Valérian, ni Universal War One, ni le Fils de la Louve, ni Yoko Tsuno, ni Spirou & Fantasio, ni Tanigushi, ni L'Incal, ni... Mais un jour, peut-être !
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